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Préface
mercredi 30 mai 2018, par
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Depuis ce premier contact, André-Yves Bourgès a fait son chemin. Le premier article écrit par lui que nous lûmes, Minihi-Briac, Bourbriac et Saint-Briac, paru dans les Mémoires de la Société d’Emulation des Côtes-d’Armor en 1983, nous impressionna favorablement. Pour être autodidacte en la matière, l’homme révélait l’étoffe d’un véritable historien. Cela se confirma trois ans plus tard, quand, dans la même revue, il éclaira avec brio les origines de la vicomté de Plaintel. D’autres articles suivirent dans Pays d’Argoat, Trégor mémoire vivante, dans le Bulletin de la Société archéologique du Finistère, les Annales de Bretagne, ou encore les Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne. Ajoutons à cela de pertinentes interventions lors de colloques. Autant de travaux qui témoignent du sérieux et de la puissance de travail de notre auteur.
Dans une lettre qu’il nous adressa en novembre 1991, après qu’il nous eut fait hommage de ses Notes sur l’abbaye de Coatmalouen, parues un mois plus tôt dans Pays d’Argoat, il écrivait, à la suite d’un article que nous avions consacré au roi Gradlon dans la revue ArMen, où était évoquée la Vie ancienne de saint Mélar : « Vous savez comme moi l’importance de cette Vita pour la région de Lanmeur et je me suis lancé — toujours dans la perspective de mes études sur les anciennes circonscriptions territoriales — dans un travail de fond sur ce que peut nous apporter cette Vita et en particulier sur le Pagus Castelli, lequel, selon l’auteur du XIIe siècle, avait été nommé ainsi d’après le castellum de Bocciduus (La Boissière) où résidait Conomore. J’aimerais savoir ce que vous pensez des éléments très anciens que vous soulignez rapidement dans votre article ». La réponse circonstanciée, c’est André-Yves Bourgès qui l’apporte magistralement cinq ans plus tard.
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En effet, ainsi que le souligne fort justement l’auteur dans son introduction au présent ouvrage, après avoir connu un certain purgatoire où une approche hypercritique contribua à les reléguer dans la première moitié de ce siècle, les études hagiographiques bretonnes ont bénéficié à partir des années soixante-dix d’un regain de faveur. Il apparut à des précurseurs comme Pierre Riché et Léon Fleuriot, qu’entre la trop grande complaisance d’un Arthur de La Borderie et la critique intransigeante d’un Ferdinand Lot, une voie médiane existait, sans que les exigences de la science s’en trouvassent transgressées. Mais, si ce renouveau s’est intéressé essentiellement au contenu des sources hagiographiques, il a presque totalement négligé l’édition des textes. On a continué de s’appuyer sur celles réalisées par les La Borderie, les Dom Plaine et autres érudits du siècle dernier, sans toujours en vérifier la fiabilité. En s’attaquant au difficile dossier hagiographique mélarien, André-Yves Bourgès a vite perçu les limites d’une telle démarche et cela l’a conduit, comme il dit lui-même, à s’intéresser moins à l’histoire du saint qu’à « l’histoire de son histoire ».
Aussi s’est-il attaché, avec la rigueur qu’on lui connaît, à réunir dans la première partie de son travail, les pièces du dossier. Patiemment, méticuleusement, il a colligé et analysé les textes concernant le jeune martyr de Lanmeur. Avant d’en donner une nouvelle édition, il s’est penché avec acuité sur les éditions antérieures, notamment celles de Dom F. Plaine et H. Le Gouvello, qui, pour être obsolètes, continuent, faute de mieux, à servir de référence. Il ne s’est pas limité à en faire la critique. Explicitant sa propre démarche, il a précisé et justifié les règles d’édition qu’il a suivies. Les versions des principaux textes qu’il a établies feront désormais autorité. En donner une traduction, dont la justesse n’est pas la moindre qualité, ne peut que contribuer à en faciliter l’approche à un public de non initiés. C’est aussi préparer l’avenir, en un temps où les jeunes historiens médiévistes sont de moins en moins familiarisés avec la langue latine, ce qui n’est pas sans hypothéquer gravement le devenir des études [p.
Si déjà à travers cette première partie, on mesure les capacités de l’historien, ses qualités d’analyse et de réflexion, sa maîtrise s’exprime pleinement dans les commentaires fouillés et étendus qui constituent la seconde partie du travail. Dans cette approche historiographique, qui frappe par son exhaustivité, il ne néglige aucun aspect de la question, n’éludant pas les problèmes quand ils se posent, si épineux soient-ils. Nourrie de nombreuses références bibliographiques, la démonstration est aussi pénétrante que sobre, conduite avec rigueur et prudence. Quand il lui arrive de formuler des hypothèses, l’auteur a le souci constant d’étayer son propos, non sans avoir parfois au préalable consulté certains spécialistes. Pour l’avoir maintes fois constaté, les avis qui lui sont formulés ne restent pas lettre morte. Avec la modestie qui le caractérise, André-Yves Bourgès sait écouter et tirer profit des remarques qu’on peut être amené à lui faire. Contrairement à beaucoup d’autodidactes, il sait que le génie est une longue patience. On devient « savant » quand on commence à prendre la mesure, non de ses connaissances, mais de son ignorance.
Cette étude fait honneur à son auteur et témoigne, si besoin était, que la qualité d’universitaire qu’il n’a pas ne saurait constituer un handicap et a fortiori le seul label pour juger de la valeur d’un travail de recherche. En ce même domaine, d’autres grands noms en ont apporté l’éclatante démonstration, comme André Oheix, l’abbé François Duine, René Largillière, pour ne citer qu’eux. Prendre place à côté de ces illustres aînés est un titre enviable.